samedi 5 décembre 2015

Ma médina - 1ère partie

Je sors à peine de l'auberge que s'offre à moi la première image de ma médina : les enfants qui jouent au ballon dans la rue. Ces enfants, on les entend jour et soir à travers les fenêtres sans vitre de l'auberge. Parfois, je discute un peu avec eux. Ils ont 8, 9, 10 ou 12 ans et n'aiment pas l'école (c'est difficile, disent-ils). Ce qu'ils aiment, c'est le foot et le basket.


Ce coin de ruelle, entre la fumée blanche des sardines qui grillent à la petite bicoque d'à côté et les touristes qui vont et viennent à l'auberge, c'est leur petit univers. Une cour de récré d'à peine 5m sur 8, où les rayons du soleil ne pénètrent jamais à cause de la hauteur des bâtiments autour, mais où ils s'imaginent quotidiennement être l'héros national réussissant le but décisif de la Coupe du monde.

Je les observe un moment, attendrie, puis je me dirige vers le souk qui se trouve au bout de la petite rue de l'auberge. Je croise sur mon passage ce petit restaurant familial où on entend toujours le grésillement de la friture des poissons et des pâtés de pomme de terre, puis ce petit barbier appelé Les amis, où il y a toujours un homme en train de se faire tailler la barbe.

J'arrive au souk et tous mes sens sont subitement sollicités. Les bruits, l'odeur de la menthe et les couleurs des voiles et des djebellah (la tunique typique des marocains) m'emplissent. Les rayons du soleil percent enfin les murs de la médina et je dois placer ma main devant mes yeux pour réussir à avancer dans ce chaos. Je dois d'abord contourner l'un des nombreux vendeurs de sardines, qui entoure patiemment sa prise du jour de gros sel en attendant les prochains clients.


D'autres obstacles rendent la progression difficile : les chariots des vendeurs de pain et d'herbes fraiches. L'un d'eux enveloppe ma botte de menthe fraiche et croquante dans un papier journal. Je lui tend en retour 1 dirham (15¢); je n'ai plus à demander les prix. Il n'est pas coutume ici de le demander; la plupart des gens demandent, ou prennent, les produits voulus puis déposent les pièces dans la main tendue du vendeur. La transaction marchande marocaine typique peut donc s'effectuer sans qu'un seul mot soit prononcé, quoi qu'il ne soit pas dans l'habitude des marocains de ne pas se saluer, s'embrasser et prendre des nouvelles, parler d'autre chose que d'argent, quoi!

Derrière les chariots des vendeurs de sardines, de pain et d'herbes, se trouvent les boutiques de fruits secs. Dattes, raisins et figues, frais ou séchés et de toutes les variétés, côtoient les « gâteaux » (on appelerait ça des biscuits chez nous) et les beurres d'arachides ou d'amande.

Plus loin, ce sont les vendeurs d'olives, qui me donnent l'impression qu'il existe un paradis sur terre. Construites chaque matin avec grand soin, ces petites paramides concaves d'olives, de câpres, de légumes marinés et de citrons confits invitent à la dégustation, permise d'ailleurs. Impossible d'acheter sans goûter : le vendeur insistera et vous placera une pleine pelletée d'olives sous le nez.


C'est là aussi qu'on achète l'huile d'olive. Un demi-litre svp. Mashi moshkil (pas de problème), aussitôt le vendeur rincera une bouteille d'eau vide puis la remplira de ce beau liquide vert et opaque à partir d'une plus grosse bouteille. Pas d'emballage, pas de logo, pas de prétention. Pourtant, le goût de cette huile ne laisse aucun doute sur sa pureté, sa fraicheur et l'authenticité de sa production.

Je continue mon chemin en zigzaguant entre les chariots des vendeurs de khoobz, ce pain plat typique du Maroc, un peu croustillant à l'extérieur mais avec une mie moelleuse et criblée de trous. Moyen logistique par excellence, tout le monde ici possède un de ces petits chariots pour transporter leur marchandise au et hors du souk, matin et soir. Ou encore, pour y faire une petite sieste lorsqu'il est vide.



J'entre pour une petite balade au souk de la volaille. Malgré son nom, on y vend de tout : en plus de poulets vivants, attachés et amorphes, égorgés, déplumés, entiers ou coupés, on y trouve aussi les oeufs, légumes, céréales, légumineuses et épices. J'observe une femme et sa jeune fille pointer un poulet dans la basse-cour improvisée d'un kiosque. L'homme empoigne le poulet sous les ailes avec deux doigts, puis le bec avec les deux autres, et il tranche la jugulaire d'un coup sec avec son autre main qui tenait un couteau. Tout s'est passé très vite et le poulet, encore parcouru de spasmes, est placé tête en bas dans un entonnoir d'aluminium. Je ne vois pas ce qu'il advient du sang. Ce qui m'amènera à me questionner sur les préceptes halal.




Venant du kiosque d'en face, un boucan d'enfer : c'est la machine à déplumer le poulet, une simple bande de caoutchouc qui tourne rapidement et sur laquelle on frotte l'animal. Les marchands semblent surpris de la présence d'une touriste dans ce lieu qui doit répugner la plupart des occidentaux. Leurs regards interrogateurs m'intimident un peu. Je n'ose pas trop sortir la caméra mais le carnet et le crayon que je tiens à la main constituent un début d'explication à ma présence dans ce lieu très authentique.


Je sors donc du souk de la volaille et me voilà de retour sur la rue principale de la médina. Elle est jonchée de déchets. Ici, on s'embarrasse peu de la gestion des feuilles de chou défraichies, des écailles de poissons qu'on a gratté, des pelures de clémentines et, malheureusement, des sacs de plastique qui ont servi à emballer les produits. Maigre consolation, des employés de la ville nettoieront complètement la rue ce soir, lorsque la plupart des marchands auront fermé boutique. On ramasse d'abord les déchets avec un balai fait à la main de feuilles de palmier, puis on lave la rue à grande eau. D'ailleurs, il m'arrive souvent de glisser sur l'espèce de boue qui recouvre la rue tôt le matin, avant que le soleil n'ait eu le temps de l'assécher.

J'arrive chez notre marchand de légumes préféré. En achetant toujours nos légumes à la même place, on a fini par développer une familiarité avec lui, ce qui nous permet non seulement de pratiquer un peu notre arabe mais aussi d'avoir confiance aux prix qu'il nous demande. Il nous accueille toujours avec plaisir, malgré sa timidité manifeste. Nous sommes habitués maintenant : on saisit un panier de plastique et on y dépose les aliments que l'on choisit. Les tomates cerises, concombres, oignons rouges, pois sucrés et poivrons rouges nous permettront de faire une bonne salade marocaine. Pour le couscous, on choisira plutôt les carottes, courgettes, patates et navets. Il nous en coûte rarement plus d'1,50$ pour tous les légumes du repas. Parfois, on achète aussi des clémentines mais on préfère aller tout au bout de la rue où le kilo ne coûte que 30¢.



De l'autre côté de la rue, je vois deux boucheries typiques qui pourraient certainement rebuter certains les plus sensibles d'entre vous. Les carcasses de viande pendent au-dessus du comptoir pendant toute la journée, permettant à la biologiste que je suis de pratiquer mon anatomie : côtes, reins, testicules... Des chats, partients et alléchés, attendent devant le kiosque, immobiles, la tête levée avec espoir. Parfois, un boucher leur lancera quelques morceaux de viande pour tuer l'ennui.



Je continue mon chemin vers la première porte, qui marque la fin du souk alimentaire. Dès que je la traverse, l'univers sensitif change complètement. Il y a moins de gens, moins d'obstacles, moins d'odeurs, moins de bruit. D'ici à la prochaine porte, c'est le souk des vêtements et des tissus. Toutes les boutiques se ressemblent un peu et sont plus ou moins d'intérêt pour quiconque dont le style vestimentaire ne correspond pas à porter une longue toge sous une robe de chambres en polar et un voile... C'est la section la plus tranquille de la médina, où l'on ne trouve ni l'agitation du souk alimentaire, ni la sollicitation constante des vendeurs du souk artisanal.


Juste avant de traverser la deuxième porte, je prend la rue à gauche où, à 10m, se trouve la boutique d'herboristerie de notre ami Abdoullatif. Il vend les épices, le thé et les produits de beauté à base d'huile d'argan, d'olive ou d'avocat. Mais le plus drôle à propos de ces boutiques d'herboristerie, très nombreuses dans la médina, ce sont les racines et plantes aux mille vertus : pour grossir, pour maigrir, pour la constipation, contre les reins [sic], contre la chute de cheveux, contre l'herpès (!), contre les mauvais yeux, pour huiler la chatte, pour faire grimper madame aux rideaux, pour faire monter Mimi au lustre...





À suivre...

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