Je sors à peine de l'auberge que
s'offre à moi la première image de ma médina : les enfants qui
jouent au ballon dans la rue. Ces enfants, on les entend jour et soir
à travers les fenêtres sans vitre de l'auberge. Parfois, je discute
un peu avec eux. Ils ont 8, 9, 10 ou 12 ans et n'aiment pas l'école
(c'est difficile, disent-ils). Ce qu'ils aiment, c'est le foot et le
basket.
Ce coin de ruelle, entre la fumée
blanche des sardines qui grillent à la petite bicoque d'à côté et
les touristes qui vont et viennent à l'auberge, c'est leur petit
univers. Une cour de récré d'à peine 5m sur 8, où les rayons du
soleil ne pénètrent jamais à cause de la hauteur des bâtiments
autour, mais où ils s'imaginent quotidiennement être l'héros
national réussissant le but décisif de la Coupe du monde.
Je les observe un moment, attendrie,
puis je me dirige vers le souk qui se trouve au bout de la petite rue
de l'auberge. Je croise sur mon passage ce petit restaurant familial
où on entend toujours le grésillement de la friture des poissons et des pâtés de pomme de terre, puis ce petit barbier appelé Les
amis, où il y a toujours un homme en train de se faire tailler
la barbe.
J'arrive au souk et tous mes sens sont
subitement sollicités. Les bruits, l'odeur de la menthe et les
couleurs des voiles et des djebellah (la tunique typique des
marocains) m'emplissent. Les rayons du soleil percent enfin les murs
de la médina et je dois placer ma main devant mes yeux pour réussir
à avancer dans ce chaos. Je dois d'abord contourner l'un des
nombreux vendeurs de sardines, qui entoure patiemment sa prise du
jour de gros sel en attendant les prochains clients.
D'autres obstacles rendent la
progression difficile : les chariots des vendeurs de pain et d'herbes
fraiches. L'un d'eux enveloppe ma botte de menthe fraiche et
croquante dans un papier journal. Je lui tend en retour 1 dirham
(15¢); je n'ai plus à demander les prix. Il n'est pas coutume ici
de le demander; la plupart des gens demandent, ou prennent, les
produits voulus puis déposent les pièces dans la main tendue du
vendeur. La transaction marchande marocaine typique peut donc
s'effectuer sans qu'un seul mot soit prononcé, quoi qu'il ne soit
pas dans l'habitude des marocains de ne pas se saluer, s'embrasser et
prendre des nouvelles, parler d'autre chose que d'argent, quoi!
Derrière les chariots des vendeurs de
sardines, de pain et d'herbes, se trouvent les boutiques de fruits
secs. Dattes, raisins et figues, frais ou séchés et de toutes les
variétés, côtoient les « gâteaux » (on appelerait ça des
biscuits chez nous) et les beurres d'arachides ou d'amande.
Plus loin, ce sont les vendeurs
d'olives, qui me donnent l'impression qu'il existe un paradis sur
terre. Construites chaque matin avec grand soin, ces petites
paramides concaves d'olives, de câpres, de légumes marinés et de
citrons confits invitent à la dégustation, permise d'ailleurs.
Impossible d'acheter sans goûter : le vendeur insistera et vous
placera une pleine pelletée d'olives sous le nez.
C'est là aussi qu'on achète l'huile
d'olive. Un demi-litre svp. Mashi moshkil (pas de
problème), aussitôt le vendeur rincera une bouteille d'eau vide puis la remplira de ce beau liquide vert et opaque
à partir d'une plus grosse bouteille. Pas d'emballage, pas de logo, pas de prétention. Pourtant, le goût de cette huile ne laisse aucun
doute sur sa pureté, sa fraicheur et l'authenticité de sa
production.
Je continue mon chemin en zigzaguant
entre les chariots des vendeurs de khoobz,
ce pain plat typique du Maroc, un peu croustillant à l'extérieur
mais avec une mie moelleuse et criblée de trous. Moyen logistique
par excellence, tout le monde ici possède un de ces petits chariots
pour transporter leur marchandise au et hors du souk, matin et
soir. Ou encore, pour y faire une petite sieste lorsqu'il est vide.
J'entre
pour une petite balade au souk de la volaille. Malgré son nom, on y
vend de tout : en plus de poulets vivants, attachés et amorphes,
égorgés, déplumés, entiers ou coupés, on y trouve aussi les
oeufs, légumes, céréales, légumineuses et épices. J'observe une
femme et sa jeune fille pointer un poulet dans la basse-cour
improvisée d'un kiosque. L'homme empoigne le poulet sous les ailes
avec deux doigts, puis le bec avec les deux autres, et il tranche la
jugulaire d'un coup sec avec son autre main qui tenait un couteau.
Tout s'est passé très vite et le poulet, encore parcouru de
spasmes, est placé tête en bas dans un entonnoir d'aluminium. Je ne
vois pas ce qu'il advient du sang. Ce qui m'amènera à me
questionner sur les préceptes halal.
Venant du kiosque
d'en face, un boucan d'enfer : c'est la machine à déplumer le
poulet, une simple bande de caoutchouc qui tourne rapidement et sur
laquelle on frotte l'animal. Les marchands semblent surpris de la
présence d'une touriste dans ce lieu qui doit répugner la plupart
des occidentaux. Leurs regards interrogateurs m'intimident un peu.
Je n'ose pas trop sortir la caméra mais le carnet et le crayon que
je tiens à la main constituent un début d'explication à ma
présence dans ce lieu très authentique.
Je sors donc du
souk de la volaille et me voilà de retour sur la rue principale de
la médina. Elle est jonchée de déchets. Ici, on s'embarrasse peu
de la gestion des feuilles de chou défraichies, des écailles de
poissons qu'on a gratté, des pelures de clémentines et,
malheureusement, des sacs de plastique qui ont servi à emballer les
produits. Maigre consolation, des employés de la ville nettoieront
complètement la rue ce soir, lorsque la plupart des marchands auront
fermé boutique. On ramasse d'abord les déchets avec un balai fait à
la main de feuilles de palmier, puis on lave la rue à grande eau.
D'ailleurs, il m'arrive souvent de glisser sur l'espèce de boue qui
recouvre la rue tôt le matin, avant que le soleil n'ait eu le temps
de l'assécher.
J'arrive chez notre
marchand de légumes préféré. En achetant toujours nos légumes à
la même place, on a fini par développer une familiarité avec lui,
ce qui nous permet non seulement de pratiquer un peu notre arabe mais
aussi d'avoir confiance aux prix qu'il nous demande. Il nous
accueille toujours avec plaisir, malgré sa timidité manifeste. Nous
sommes habitués maintenant : on saisit un panier de plastique et on
y dépose les aliments que l'on choisit. Les tomates cerises,
concombres, oignons rouges, pois sucrés et poivrons rouges nous
permettront de faire une bonne salade marocaine. Pour le couscous, on
choisira plutôt les carottes, courgettes, patates et navets. Il nous
en coûte rarement plus d'1,50$ pour tous les légumes du repas.
Parfois, on achète aussi des clémentines mais on préfère aller
tout au bout de la rue où le kilo ne coûte que 30¢.
De l'autre côté
de la rue, je vois deux boucheries typiques qui pourraient
certainement rebuter certains les plus sensibles d'entre vous. Les
carcasses de viande pendent au-dessus du comptoir pendant toute la
journée, permettant à la biologiste que je suis de pratiquer mon
anatomie : côtes, reins, testicules... Des chats, partients et
alléchés, attendent devant le kiosque, immobiles, la tête levée
avec espoir. Parfois, un boucher leur lancera quelques morceaux de
viande pour tuer l'ennui.
Je continue mon
chemin vers la première porte, qui marque la fin du souk
alimentaire. Dès que je la traverse, l'univers sensitif change
complètement. Il y a moins de gens, moins d'obstacles, moins
d'odeurs, moins de bruit. D'ici à la prochaine porte, c'est le souk
des vêtements et des tissus. Toutes les boutiques se ressemblent un
peu et sont plus ou moins d'intérêt pour quiconque dont le style
vestimentaire ne correspond pas à porter une longue toge sous une
robe de chambres en polar et un voile... C'est la section la plus
tranquille de la médina, où l'on ne trouve ni l'agitation du souk
alimentaire, ni la sollicitation constante des vendeurs du souk
artisanal.
Juste avant de
traverser la deuxième porte, je prend la rue à gauche où, à 10m,
se trouve la boutique d'herboristerie de notre ami Abdoullatif. Il
vend les épices, le thé et les produits de beauté à base d'huile
d'argan, d'olive ou d'avocat. Mais le plus drôle à propos de ces
boutiques d'herboristerie, très nombreuses dans la médina, ce sont
les racines et plantes aux mille vertus : pour grossir, pour maigrir,
pour la constipation, contre les reins [sic], contre la chute de
cheveux, contre l'herpès (!), contre les mauvais yeux, pour huiler
la chatte, pour faire grimper madame aux rideaux, pour faire monter
Mimi au lustre...
À suivre...
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