jeudi 17 décembre 2015

Ma médina - 2e partie


En revenant sur mes pas, puis en traversant la rue principale, je m'engage dans le souk artisanal ou, si on préfère, le coin des touristes. Dans cette partie de la médina, le parfait touriste pourra se procurer la maroquinerie (accessoires en cuir), la tisserie, les coffres en bois de thuya, les bijoux berbères, des vêtements, etc.





Je n'aime pas tellement me promener dans cette section de la médina car on s'y fait constamment solliciter.

- Hello, bonjour. (avec un beau sourire)
- Bonjour (je réponds avec sincérité, mais me voilà prise au piège)
- Française?
- Non :)
- English?
- Québec!
- Aah! Canada (... hmmf!)
Pendant ce temps, j'essaie de continuer mon chemin... Mais ils n'abandonnent pas.

- Hé! Mademoiselle...
- Merci, bslamah!
- Hé! Venez voir ma boutique, juste pour le bonheur des yeux.
- ... Shokran
- Parlez arabe?
- Chwiya chwiya...
- Venez prendre le thé (on se crie maintenant par la tête puisque je tente toujours de m'éloigner). Revenez me voir plus tard! Hé!

Certains vont vous tendre la main en vous saluant, ce qui est difficile à ignorer. Une fois ma main dans la leur, ils la tiennent solidemment pendant qu'ils entamment la discussion, rendant la dérobade très difficile. Il faut donc beaucoup de patience pour demeurer polie et beaucoup d'imagination pour trouver les excuses adéquates pour qu'ils vous laissent filer. Et ça recommence quelques mètres plus loin avec un autre vendeur... Heureusement, après un mois à nous voir circuler dans la médina, ils commencent à reconnaître nos visages et à moins nous aborder.

Plusieurs salutations et refus plus tard, j'arrive au bout de la rue. Je longe le mur extérieur de la médina; j'entends le ressac de l'océan Atlantique de l'autre côté. Je sais que je me trouve maintenant dans le quartier juif, mais il n'y a pas vraiment de différence avec le reste de la médina. Je suis dans le souk des marchands de tapis, qui ont tous l'air bien défraichis. J'ose imaginer que ceux qui sont à vendre, dans la boutique, sont un peu plus frais et gardés à l'abri des rayons du soleil. C'est tranquille ici, on est en plein après-midi, c'est l'heure de la sieste...


Je finis par me retrouver sur la grande place Moulay Hassan, avec ses restaurants et ses terrasses, ses vendeurs de cartes postales ou de lunettes fumées de contrefaçon (« pas cher, seulement 1 million de dollars » - ils font tous la même blague). Parfois, on peut assister au spectacle d'un groupe de jeunes souiris, au costume fabriqué à la maison aux couleurs du drapeau, qui font moult acrobaties contre quelques dirhams. Tout au bout de la place, les remparts scellent la médina et me séparent d'un tout autre univers : le port.



Allons-y et profitons-en pour acheter de quoi faire un festin pour souper. Dès que je traverse les remparts, je suis submergée de nouvelles sensations. Le bleu du ciel et le bleu des chaloupes forment les trames d'un paysage achalandé : motos, touristes, pêcheurs au teint basané qui somnolent dans leurs barques ou qui rafistolent leurs filets, vendeurs et étals de poissons et profusion de chats et mouettes qui ont flairé la bonne affaire. Le sol est recouvert d'un périlleux limon d'abats de poisson, d'eau souillée et d'huile de bateau. L'odeur est éloquente, les rayons du soleil convoitent les pupilles. J'ai rapidement compris que tous les vendeurs font les mêmes prix, inutile de m'aventurer plus loin et de risquer la culbute. Je m'arrête au premier étal et j'achète crevettes, calmars et dorade pour le souper. Je répète tous les prix en arabe; le vendeur est content. Il prépare mon calmar contre quelques dirhams.







Je reviens sur mes pas vers la médina et je m'arrête au comptoir de mon ami Mohamed. Aussi heureux qu'un marocain peut l'être, il me presse à la main un jus d'orange frais contre quelques dirhams. Je retourne vers la rue principale et je me retrouve sur une grande place aux allures coloniales, située tout près de l'Association Mogador-Essaouira, là où nous prenons nos cours d'arabe. Je reconnais les mendiants qui s'y trouvent. Il y a la vieille dame au dos tellement voûté que l'on pourrait remettre la théorie de la gravité en question s'il ne c'était de sa canne. Il y a cet homme qui vient se mettre devant vous, la main tendue et vous empêchant de continuer votre chemin. Il y a cet autre, avachi dans son chariot qui crie à longueur de journée « Allah! Allah! Allah! Allah!...» (lorsque je suis allée lui donner une pain, il est devenu complètement lucide, et d'un français pas trop mauvais, m'a demandé si je faisais de la gymnastique...!). Il y a ce mignon petit homme berbère avec sa djabellah grise, il ne fait rien sinon nous demander l'aumône en berbère. Lorsque je lui tends une clémentine, son visage s'illumine et il regarde ce simple don comme s'il était d'or. Ces pauvres gens, et bien d'autres que j'oublie, me rappellent à tous les jours comment la sécurité sociale est précieuse. Ici, l'emploi est difficile à trouver et un simple handicap peut vous mettre sur la paille. J'ai vu des gens ramper dans la rue, n'ayant d'autres moyens de locomotion que leurs bras et sans les moyens de se payer une chaise roulante ou des béquilles. Mon coeur se serre puis le sentiment de lâcheté me prend les trippes lorsque je réalise qu'il m'est plus facile de regarder ailleurs et de continuer mon chemin. Elle est bien belle, ma médina, mais la vie des gens qui y habitent ne l'est pas autant.

Un peu plus loin sur le chemin du retour, je salue mon ami de la pâtisserie Lajeunesse, là où je vais déjeuner à tous les matins. Avec l'invariable café au lait (nss-nss, ou moitié-moitié), j'ai le choix entre la baguette à la Petite vache qui rit, l'omelette au fromage rouge (fromage edam, dont la meule est entourée de cire rouge à la façon d'un Babybel) ou la chocolatine. Le tout pour moins de 1$, et c'est le café qui coûte cher. Je continue mon chemin car j'ai des fruits de mer à mettre au frigo, quoi qu'ils ont déjà passé une bonne partie de la journée au soleil...

Avant de m'engager dans la petite ruelle de l'auberge, je jette un coup d'oeil à ma médina. J'essaie de graver ses couleurs, ses visages, ses odeurs et ses sons dans ma mémoire. Je sais que mon passage ici est important, mais je ne sais pas encore pourquoi.


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