lundi 22 janvier 2018

Un train nommé enfer

Il n’y a qu’une voie ferrée en Mauritanie : celle de la Société nationale industrielle et minière (la SNIM) qui relie la mine de fer de Zouerate à Nouadhibou. Le train qui y circule est appelé train minéralier car il est constitué de 200 à 210 wagons-citerne transportant 84 tonnes de minérai de fer chacun, jusqu’au port de Nouadhibou où il est chargé sur des bateaux. Ainsi, il s’agit du train le plus long, le plus lourd et, conséquemment, le plus lent du monde. Il peut faire jusqu’à 2,5 km de long et sa vitesse ne dépasse pas 60 km/h lorsque les wagons sont pleins.



Dans ce pays désertique aux rares routes goudronnées, le train minéralier constitue le seul réel moyen de transport entre ces deux villes. Pour les employés de la mine en permission qui veulent se rendre en ville, ou pour d’autres comme cet enseignant ivoirien qui se rend à tous les mois à Nouadhibou pour voir sa femme, le train minéralier devient un moyen de transport comme un autre.



Comme dans nos trains occidentaux où vous pouvez choisir entre la classe économique et la classe supérieure, deux choix s’offrent à vous si vous voulez voyager en train minéralier. Tout au bout de ce long convoi, deux voitures de train pour les passagers ont été ajoutés : une voiture VIP pour les cadres de la société, où semble-t-il le confort est minimal, mais existant, et l’autre, la « Douira ». Dans ce vieux wagon composé d’un couloir latéral et d’une demi-douzaine de compartiments, les billets se vendent 2500 ouguiyas (8,75$) et sont donc réservés à ceux qui en ont les moyens. L’autre option est de grimper dans un wagon-citerne, vide si le train se dirige vers Zouérate ou plein de minérai de fer s’il va plutôt vers l’océan. Des bergers transportent ainsi leur bétail, des commerçants, leur marchandise. Si cette option est sans frais, elle est également sans garantie et sans protection contre les éléments. Il fait froid, le bruit est infernal, c’est terriblement sale et parfois, des gens ou des chèvres tombent des wagons et meurent. Si nous n’avons pas osé l’expérience des wagons-citerne vides, la Douira promettait aussi son lot de désagréments.

Photo prise sur les z'internets

Nous nous présentons à la gare de voyageurs de Nouadhibou à l’heure prévue du train : 14 heures. À notre arrivée, la gare est fermée. On nous informe que le train sera en retard… départ prévu entre 19 et 22 heures selon les versions. La gare finit par ouvrir, il n’y a que de vieux sièges bancals, pas de toilette, pas de lumière, pas de guichet. Mais au moins, on est à l’abri du soleil et du vent. Le jour tombe et la gare devient de plus en plus sombre. Il y a un commerçant qui vend quelques grignotines qui agit également comme muezzin, appelant les hommes à la prière dans une mosquée. Les femmes n’y entrent pas, et font leur prière devant nous, à même le sol, dans l’obscurité de la gare. Le moment est solennel.

Vers 21 heures, on nous fait signe, on sort : le train arrive, il passe devant nous. C’est long, long… il freine et les wagons se percutent avec un bruit horrible. Lorsqu’il s’arrête enfin, tout le monde se met à courir, soit vers les wagons-citerne ou vers la Douira. Un policier nous escorte jusqu’à la porte, on grimpe tant bien que mal dans le wagon. Notre long voyage de 11 heures vers la ville de Choum, à mi-chemin entre Nouadhibou et Zouérate, débute. Une très longue et difficile nuit s’amorce...

D’abord, un train aussi lourd et aussi long qui circule dans le désert soulève beaucoup de sable, sans parler de la poussière toxique du minérai de fer des wagons-citerne. La Douira étant située à la queue du train, c’est là où l’expression « manger la poussière » prend tout son sens. Mais nous étions prêts : masques chirurgicaux dérobés lors de notre visite au CLSC pour nos vaccins, melhafa pour Catherine et chèche pour Rémy.

Ensuite, acheter un billet ne vous assure pas une place assise; souvent, le wagon est bondé, les gens devant s’asseoir un peu partout sur le sol. Heureusement, le soir où nous l’avons pris, il y avait peu de gens et suffisamment de place pour tout le monde dans les compartiments. Par contre, avoir une place assise n’est pas pour autant synonyme de confort. Là où on imagine un compartiment muni d’une porte, d’une fenêtre pour voir défiler le paysage et d’une banquette, se trouve plutôt une absence de quoi que ce soit d’autre que la structure métallique du wagon, un plexiglas opacifié par les saletés et les rayures en lieu de fenêtre et comme banquette, une vulgaire planche de bois posée à 90 degrés avec le mur et trop basse, ce qui fait que les genoux sont plus hauts que les fesses.

À notre arrivée dans le wagon, nous étions contents de constater que nous avions des places assises avec seulement 3 autres hommes dans notre compartiment et qu’il n’y avait pas trop de poussière dans l’air. Toutefois, dès le départ du train, les choses se sont corsées. Comme ce train est très lourd, la force générée par la locomotive pour initier le mouvement de tous ces wagons est très grande. À chaque coup d’accélération ou de freins de la locomotive, la secousse est brutale. Surtout lorsque le train freine, puisque les wagons se rentrent les uns dans les autres. Et lorsque le train roule, les secousses continuent mais de façon latérale. On aurait cru que le wagon sautait d’un rail à l’autre et qu’il allait dérailler à tout moment. Comme le wagon est le dernier du convoi, c’est probablement pire que dans les wagons-citernes. Les secousses sont très fortes et continues : on se serait cru dans une machine à laver – et pas à cycle délicat! Le bruit est infernal et il n’y a aucune lumière dans le train. Quant à la toilette, je ne vous en parle même pas (et quand on voyage en Afrique, nos exigences en matière de toilettes sont déjà peu élevées).

Mais le pire, c’est vraiment l’absence total de confort pour les fesses. Après à peine 15 minutes, je ne pouvais plus supporter la position assise. Devant nous, deux hommes visiblement habitués ont sorti des des couvertures et des sacs de grain en guise d’oreiller, se sont couchés tête-bêche et se sont immédiatement endormis, à notre grande stupéfaction. De notre côté, impossible de fermer l’œil. Entre les secousses incessantes, l’inconfort de la position assise et le besoin de sommeil qui s’installait de plus en plus sans jamais être assouvi, nous étions de plus en plus impatients de sortir de ce train infernal. Et comme nous étions la nuit, impossible de nous changer les idées en regardant le paysage.

À un certain moment, le train s’est arrêté en plein milieu du désert pour permettre au train se dirigeant en direction inverse de passer; la voie est unique sur toute la longueur du trajet sauf à cet endroit. Nous avons donc eu 1h30 de répit pendant lequel Rémy, qui avait réussi à adopter une position demie-couchée, collé sur notre voisin de planche, s’est endormi. Tout le monde dormait dans le wagon. Mais comme je n’avais pas la place pour m’allonger et que mon derrière me faisait trop souffrir pour dormir, j’étais impatiente qu’on reparte pour enfin arriver à Choum.

Vers 7 heures, le soleil s’est tranquillement levé sur le désert et nous avons passé la dernière heure à contempler les dunes, le reg et les montagnes. Le sable était doré sous les rayons obliques du soleil levant, c’était le calme, l’espace, enfin nous étions arrivés dans le Sahara, le vrai. Puis, nous sommes arrivés à Choum et tout s’est précipité un peu, on nous a mis dans un bus à destination d’Atar et la route a été encore longue et fatigante. En arrivant à Atar, on a fait une bonne sieste, on a pris une douche et on a mangé un bon riz au poisson. Nous ne pouvions nous empêcher de penser à tous ces gens qui étaient toujours dans ce train de l’enfer et qui avaient encore plusieurs heures à faire avant d’arriver à destination.

Voilà une aventure qui fait grandement réfléchir sur les inégalités incroyables entre nos conditions de vie et celle des Mauritaniens. Chez nous, on ne laisserait même pas le bétail voyager dans de telles conditions. Les Mauritaniens payent une somme considérable pour prendre ce train et s’en trouvent choyés. Pour eux, c’est la vie normale et pour moi, c’était tellement difficile que je trouve pertinent d’en faire un article de blog. Comme nous a répondu un chauffeur de taxi de Nouadhibou lorsque nous lui demandions si le train était confortable: « C'est... différent! »

1 commentaire:

  1. Merci pour ce récit. Réflexion pertinente et juste. Bon voyage ma Catherine.
    Patricia

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